Sud-ouest du 13/01/2017


Station Auzone du 13/01/2017


Sud ouest du 12/01/2017


Junk page - Janvier 2017

Stéphanie Pichon / © Julien Blight

Il y a d’abord eu Faut voir, lâcher de mots impérieux que Didier Delahais a envoyé au monde en 2013. J’irai dehors creuse le même sillon d’une oralité fleuve et funambule, cette fois seul en scène, au Glob.

Didier Delahais aime la parole ordinaire, les textes sans ponctuation, les va-et-vient de la langue entre intimité (le dedans) et banalité du quotidien (le dehors), entre observation questionnante et douce hésitation. Dans son panthéon d’auteurs : Robert Pinget, Henri Michaux, Nathalie Sarraute… et Jean-Philippe Toussaint, celui qu’il définit comme « l’écrivain de la banalité ». Dans la vie, il parle un peu comme son personnage de J’irai dehors : les mots s’emballent, rebondissent, modulent, rarement s’arrêtent. Entre deux questions, il répond même parfois par quelques tirades de son texte qu’il répète et travaille depuis quelques semaines dans la région. Habité.

Homme de lettres et de théâtre originaire du Havre, arpenteur des villes et des mots, Delahais s’est pourtant mis pendant quatorze ans en pause de la scène. « En rupture », dit-il. Avant d’y revenir subrepticement en 2013 par l’écriture de Faut voir, paru aux éditions Moires. « Ce texte n’était pas prévu pour le théâtre, c’est arrivé d’un coup. Je m’amusais à le marmonner à voix haute. Au départ, c’était le plaisir de découvrir une langue sans artifice. Puis, un personnage s’est dessiné quand j’ai commencé à le dire, à la cantonade, dans des bars. Jean-Luc Terrade m’a vu à l’occasion d’une performance et m’a proposé de travailler pour la scène avec deux comédiens. » Présentée en 2014 à Bordeaux, la pièce chorale diffractait la parole entre trois voix, trois échos d’une même litanie.

Avec J’irai dehors, Didier Delahais prolonge l’expérience dans une suite solo, monologue qu’il adapte, interprète lui-même. Et qu’il a pensé pour le théâtre, dès l’écriture. « Il s’agit pour moi de tenter de rendre compte de l’intimité d’un homme dans son dialogue avec le monde extérieur. Un homme porteur d’une identité floue, poreuse, traversée dehors par ceux qui croisent son chemin, et devant composer dedans avec d’autres, au centre de sa polyphonie intérieure. » Faut voir jetait déjà les bases de cet être hésitant, incertain, fragile et tangible. Parce que cet endroit de la fêlure questionne Delahais. « L’incertitude, le cas-où, c’est ce qui m’intéresse dans la fragilité humaine. Dans une époque de l’accélération du temps et des choses, ce personnage, dans son déséquilibre, se pose, nous pose des questions simples. »

L’obsession du théâtre revient également dans ce texte par clins d’œil et mise en abîme. Ce théâtre qu’il a en partie découvert avec Jean-Pierre Ryngaert, choisi « par intuition » pour monter cette pièce. « J’ai travaillé avec lui il y a trente ans, quand j’étais jeune comédien. La nature de son travail m’a permis de comprendre ce qui m’intéressait dans le théâtre. C’est un des artistes qui m’a poussé à aller dans des lieux publics pour enregistrer des conversations, avec qui j’ai pratiqué une autre approche de l’écriture au plateau. » La scénographie signée Cécile Léna et le travail lumière de Jean-Pascal Pracht finissent de peaufiner l’écrin scénique qui portera cette tentative malhabile et sensible d’un homme à se relier au monde.

 

J’irai dehors, mise en scène Jean-Pierre Ryngaert,

du 12 au 20 janvier, relâche les 14, 15 et 16/01, 20 h, Glob Théâtre.

www.globtheatre.net


Web revue Reg'arts du 17/01

Deux chaises, deux plantes, deux lampes symétriquement disposées de part et d’autre d’une large fenêtre suspendue séparent l’espace dans un décor sobre et épuré. On pénètre l’intime d’un homme qui donne à voir son intérieur.

Interrogeant un monde dans lequel il semble ne pas se reconnaître, il tâtonne la réalité d’un pas hésitant. Par le récit de tranches de réflexions, dans une pensée sans cesse en mouvement, cet original s’adresse à nous comme à lui-même, donnant vie et rythme à un texte brut sans ponctuation: les mots sont lâchés, retournés dans sa tête, parfois répétés comme pour en digérer la phonétique, sans rapport sémantique ou, au contraire, pour les souligner et repenser leur signification.

Ces fragments d’idées, tressés de fils de soi, dessinent des ailes à cet homme qui taille dans le vide autant d’images sensibles et fragiles dont on aurait envie de se saisir sans oser les toucher de peur de les froisser. On laisse filer cet insecte sauvage pour le voir déployer son envergure en des battements de pensées jetées à la volée, jouant dans son propre cosmos interne, ne laissant aucune place pour autrui.

Papillon au vol erratique, au rythme de trajectoires inconstantes, aux vitesses bigarrées, tournant autour de son imagination, il se pose au hasard de considérations qui traversent son esprit. Ce phalène, tel que le définit Georges Didi-Huberman, est fragile, la « forme faite d’informe, d’une symétrie faite de brisure », d’un mouvement fait « d’errance autant que d’obstination », le « désir fait de consumation » (« Phalènes », éd. Minuit, 2003).

Par la lucarne de sa fenêtre et comme on regarde une pièce de théâtre, il est spectateur de la vie, spectre dans la ville, anesthésié et en recherche de sensations. Surtout ne pas se faire remarquer, vivre sans exister ; attendre donc, encore et toujours. Coincé dans l’interstice hermétique qu’il s’est construit, oscillant entre la marge et le centre, l’intérieur et l’extérieur, l’extraction et la mise au monde, s’il ose avancer un pas hésitant, il le suit sitôt de deux en arrière comme pour effacer toute trace de son passage. S’il en fait un sur le côté, il l’interrompt par une pensée, un mot suspendu. Ainsi, on embarque au rythme du va-et-vient de ce papillon de nuit, timoré et sauvage. Craintif, il se laisse porter, soufflé par le moindre coup de vent troublant.

Maladroit, parfois drôle malgré lui, cet auguste reste résolument lucide et conscient qu’il ne fait que fantasmer les situations. En attendant d’aller dehors, il s’imagine dit-il « passe-muraille », réinventant  la vie des autres, vivant par procuration un quotidien qui n’est pas le sien. Dans ce maelstrom interne, atypique et asocial, tout devient matière à être réfléchi, le moindre mot, détail, grain de poussière peut devenir prétexte à interrogation, gonflant de delirium paranoïde son ballon de baudruche dans lequel il réinvente le monde, l’éloignant encore une fois de la réalité.

Il tournicote à l’intérieur et reste immobile à l’extérieur.

Tétraplégique des relations, lucide sur sa paralysie partielle pour ne pas se laisser emprisonner dans et par la société, il se renferme sur lui-même jusqu’à étouffer par son propre mode de fonctionnement. Pendant qu’il se laisse aller à ce qu’il  nomme sa « polyphonie intérieure », le temps passe et celui qui porte une forme d’innocence curieuse et farouche, se consume dans le feu de la procrastination, se crée ainsi l’illusion d’être tout le temps occupé, voire dépassé.

Effrayé de voir son intérieur ébranlé mis sans dessus dessous par l’autre et d’en perdre ses repères, il se protège mettant en place autant de stratégies de camouflage et d’évitement pour se défiler. Chaque sortie ou rencontre est vécue comme une odyssée, source de tout les dangers. Il enfile son scaphandre, utilisant l’armure du mensonge et de la fuite. Ne sachant qu’elle est réellement sa place au dehors, il fait inconsciemment des queues de poisson, se range derrière les gens. Marchant sur des œufs pour être certain de n’écraser personne, il s’adapte, calque sa respiration sur celle de l’autre pour feindre l’invisibilité, lui dit ce qu’il a envie d’entendre pour éviter de parler de lui-même. Cette peur de la différence est à la fois cultivée en solitaire et source de souffrance en groupe.

Pourtant, dans son cocon étanche de vieux garçon, la lumière s’intensifie lorsqu’il se met à imaginer qu’une femme pourrait pénétrer cet écrin-forteresse et découvrir sa perle baroque, irrégulière et originale, même si l’on pressent qu’il ne se laisserait apprivoiser si facilement.

Au milieu de ces nœuds internes, on reconnaît une part de nous-mêmes chez cet espèce de Charlot contemporain aux clefs tordues qui tente de remonter sa pendule sans mode d’emploi, et qui n’a pas les bons codes pour la régler au diapason.

Dans son envie de partager retenue par la difficulté de donner, cet homme fait pourtant l’effort de venir à notre rencontre. Marquant l’avancée, on assiste à cette tentative de s’accoucher au dehors. Pénétrant le SAS entre le plateau et nous, il y est presque. Il nous voit, nous regarde, s’approche, il est là devant nous, et...

Salut.

Cynthia Brésolin

 


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